Jeudi 

6 juin – 20h
Église Saint-Théodule

Consort de violes de gambe, chant et luth

Amélie Chemin, Paolo Pandolfo, Guido Balestracci
et Friederike Heumann, violes de gambe
Anna-Lena Elbert, soprano – Thomas Boysen, luth 
L’Art de la fugue, BWV 1080
Jean-Sébastien Bach (1685-1750)

Avec des interludes poétiques chantés et des oeuvres de Johann Philipp Krieger, Franz Tunder, Philipp Heinrich Erlebach et Dietrich Buxtehude

L’Art de la fugue

« Une œuvre vivante, et pleine de vigueur ». Ainsi Albert Schweitzer parlait-il de L’Art de la Fugue, rejoint par Alban Berg s’écriant « La musique la plus profonde qui soit ! », alors que de nombreux commentateurs y voyaient une œuvre abstraite, théorique. Augenmusik, « De la musique pour les yeux », pouvait écrire Thomas Mann dans Doktor Faustus, malgré son intelligence et sa sensibilité. Même le romancier André Gide, grand mélomane sous l’Éternel, prête à l’un de ses personnages dans Les Faux Monnayeurs, ces propos dont il ne croyait rien : « La musique est un art mathématique, et au surplus, à n’en considérer exceptionnellement plus que le chiffre, à en bannir le pathos et l’humanité, Bach avait réussi le chef-d’œuvre abstrait de l’ennui, une sorte de temple astronomique, où ne pouvaient pénétrer que de rares initiés.(…) Après quoi, on a été guéri de la fugue pour longtemps. L’émotion humaine, ne trouvant plus à s’y loger, a cherché d’autres domiciles ».

Œuvre monumentale, et certainement achevée par Bach même, elle nous est hélas parvenue incomplète : il n’y manque que la dernière page, on le sait maintenant, pour conclure par la fugue à quatre sujets entreprise. Alors, pourquoi ne pas lire l’œuvre, plutôt que selon un plan progressif, celui de l’admirable et émouvante démonstration d’un discours intellectuel dans une complexité croissante, mais plutôt ainsi que nous y invitent les différents contrapuncti, comme une suite de méditations, dans la richesse de leurs diversités ? Ce motif et ses dérivés s’enfantent en une floraison, une germination qui se poursuit et s’étend dans les tréfonds des auditeurs… N’avons-nous pas à nous l’approprier, à faire nôtres ces cheminements, douloureux parfois, mais progressant vers la lumière et la paix qui nous attendent ?

Méditations sur l’univers, sur le temps, sur la mort. Mais aussi sur les multiples métamorphoses de la vie. Rétrograde, en miroir, en augmentation : dans quelque ordre qu’on les joue, les contrepoints en leur apparente abstraction nous racontent le monde, la création, la vie et la mort. Et toujours, dans la présence immanente du Père tout puissant, créateur de toutes choses. Bach est ici entouré de quelques uns de ses prédécesseurs les plus célèbres, de ces musiciens qui lui ont ouvert la voie dans les premiers temps de l’âge baroque en Allemagne centrale et du Nord. Tous nous donnent une leçon de vie, la vie d’ici-bas et celle de l’au-delà, nous font entrevoir l’infini et exaltent en nous la paix et la sérénité.

Ces déplorations, ou lamentos, abondent dans la musique baroque, surtout dans la seconde moitié du XXVIIe siècle en Allemagne. C’en est même devenu un genre obligé, avec toujours cette progression de l’ombre vers la lumière, des tourments vers la paix, de la vie terrestre vers la vie surnaturelle. Et réconciliation de la créature avec son créateur.

Franz Tunder (1614-1667) fut le prédécesseur de Buxtehude à la grande église sainte Marie, à Lübeck. Sa vie fut entièrement marquée par les désastres de la guerre de Trente Ans. C’est lui qui imagina les concerts spirituels pour réjouir l’âme des marchands de la cité hanséatique, concerts qui allaient s’institutionnaliser sous la forme des Abendmusiken, les veillées musicales de Lübeck animées par Buxtehude. Tunder traite ici le célèbre cantique de Martin Schalling souvent illustré par les musiciens, notamment par Bach qui en a utilisé la neuvième et dernière strophe comme choral final de la Passion selon saint Jean (mais sur une autre musique), Ach Herr lass dein liebe Engelein. Dans la sérénité, le chrétien souhaite qu’à sa mort son âme soit admise dans le sein d’Abraham, c’est-à-dire parmi les élus, pour entrer éternellement dans la louange et la paix de Dieu. Profond et intense recueillement, et magnifique acte de foi dans l’attente de la résurrection.

Johann Krieger (1649-1725) a parcouru l’Europe, de Copenhague à Venise, avant de se fixer à la cour de Weissenfels (aujourd’hui en Saxe-Anhalt), non loin de Halle. Il est célèbre pour avoir composé plus de deux mille cantates, ou concerts spirituels. An die Einsamkeit est un chant de solitude, imprégné de la souffrance de l’âme chrétienne, au bord de la mélancolie.

Triste destinée que celle de l’œuvre de Philipp Heinrich Erlebach (1657-1714). Il se déplaça très peu dans son pays, et resta fixé à la cour de Rudolstadt, en Thuringe. Mais l’incendie qui ravagea l’immense château de Rudolstadt a fait perdre la quasi-totalité de son œuvre que conservait son épouse. Meine Seufzer, meine Klagen (mes soupirs, mes plaintes) est à nouveau un autre lamento. C’est un chant de solitude proche du désespoir, mais le chrétien sait qu’il trouvera la consolation. Le second couplet de ce lied spirituel – et tellement humain – dit « Mes pleurs, mes douleurs », et appelle le ciel en témoin de sa souffrance. L’Art de la fugue ne peut-il en effet être un lamento, moins explicite parce que sans paroles, quoique au moins tout aussi émouvant. Cependant, une fugue menant l’auditeur de façon inexorable vers une conclusion pacifiée, ces douleurs trouveront chaque fois leur résolution spirituelle, même sans paroles.

Né sans doute à Helsingborg dans le grand royaume du Danemark, Dietrich Buxtehude (1637-1707) a été organiste à Helsingborg même, comme son père, puis à Elseneur et enfin, quarante ans durant à Lübeck. Premier musicien de la ville, administrateur des biens de l’église Sainte Marie, célèbre dans toute l’Europe du Nord, musicien de génie, il était le fils d’un organiste qu’il recueillit sous son toit à la fin de sa vie. Et c’est à la mémoire de son cher père qu’il a composé, texte et musique, cette sublime élégie Muss der Tod, qui est sans doute l’un des chefs-d’œuvre de toute la musique vocale baroque de l’Allemagne hanséatique. On ne peut imaginer plus simple que cette élégie : une aria purement strophique, pour une voix de dessus, deux parties instrumentales non précisées (vraisemblablement des altos) et le continuo. C’est à l’évidence Buxtehude qui s’exprime ici, de la façon la plus personnelle :

Faut-il donc que la mort vienne séparer
Ce que rien ne saurait séparer ?
Faut-il donc que me soit arraché
Celui à mon cœur attaché ?

Et c’est la septième et dernière strophe qui répond à l’interrogation métaphysique initiale :

Ci-gît celui dont les dons musicaux
Ont pu réjouir Dieu lui-même :
C’est pourquoi son esprit heureux
A là-haut rejoint le céleste chœur.

Ce registre de sensibilité, on le retrouve dans les livrets et la musique des cantates de Johann Sebastian. Dès sa prime jeunesse, avec Actus tragicus, il pose la question de la mort, celle du chrétien face à celle du Christ. Mais de façon plus générale, c’est là la tonalité générale des lamentos et de toutes les méditations sur la mort, dans la pensée luthérienne, particulièrement intenses en cette période.

Pour clore le débat, il faut rappeler ce que disait Carl Philipp Emanuel Bach, le fils cadet de Johann Sebastian et fidèle gardien du temple : « Feu mon père, ainsi que moi-même et tous les musiciens véritables, n’était guère l’ami des choses mathématiques et sèches ».

Alors, écoutons ce bouquet de contrepoints de L’Art de la Fugue, à présent sertis dans un choix de poèmes du premier Baroque, appelés à illuminer notre vie intérieure.

Gilles Cantagrel

Amélie Chemin, viole de gambe

Née en France, Amélie Chemin vit à Bâle. Elle est titulaire d’un diplôme de viole de gambe obtenu en 2008 à la Schola Cantorum Basiliensis (classes de viole de gambe de Paolo Pandolfo, de violoncelle baroque de Petr Skalka et de vièle de Randall Cook) et d’un master en pédagogie de la musique ancienne (2021).

Elle est membre permanent de l’orchestre baroque La Cetra et des ensembles Il Profondo, La Traditora, Il gusto Barocco, et collabore également avec de nombreux autres groupes réputés tels L’Achéron, Concerto Scirocco, La Cappella Mediterranea, Le-je-ne-Scay-quoy, La grande Chapelle, Musica Fiorita, La Scintilla Opernhaus Zürich, etc.

Amélie Chemin se produit en duo avec Paolo Pandolfo (enregistrement de plusieurs CDs) et donne des concerts comme continuiste, chambriste ou soliste dans le monde entier, avec notamment avec Paolo Pandolfo, Andrea Marcon, Leonardo Garcia Alarcon, Carlos Mena, Patricia Petibon, Maria Kozena, Ton Koopman, William Christie, Jordi Savall, pour n’en citer que quelques-uns.

Son intérêt profond pour l’enseignement l’a amenée à être l’assistante de Paolo Pandolfo pour des masterclasses et des cours d’été, enseignant également dans des conservatoires en France et en Suisse.

Elle a enfin enregistré divers CDs pour Deutsche Grammophon, Ricercar, Glossa, Tactus, Outhere et a joué pour Radio France, BBC, SRF2, Radio Suisse romande, Radio Svizzera Italiana, SWR et WDR.

Paolo Pandolfo, viole de gambe

Elève à ses débuts du violoniste Enrico Gatti et du claveciniste Rinaldo Alessandrini, Paolo Pandolfo a ensuite étudié avec Jordi Savall à la Schola Cantorum Basiliensis.

De 1982 à 1990, il fut membre du fameux ensemble Hesperion XX de Savall, donnant des centaines de concerts dans le monde entier. Dès 1990, iI entame une carrière de soliste avec notamment l’enregistrement des Sonates de Carl Philip Emanuel Bach (label VdG), tout en reprenant la chaire de Jordi Savall à la Schola Cantorum Basiliensis. Depuis, Paolo Pandolfo est reconnu comme l’un des principaux solistes de viole de gambe au monde.

Il a publié un grand nombre de CDs, se concentrant principalement sur le répertoire de viole soliste (Marais, Forqueray, St. Colombe, T.Hume, C.F.Abel, J.S.Bach, De Machy, Couperin). Son adaptation des suites de Jean-Sébastien Bach pour la viole s’est immédiatement imposée comme un « must » dans la discographie internationale.

Son intérêt pour l’improvisation historique l’a amené à publier Improvisando ou le jazz du XVIIe siècle, un programme entièrement improvisé basé sur des motifs de la Renaissance. Il se consacre également à la musique moderne et à la composition (Travel Notes – Kind of Satie, etc). La plupart de ses enregistrements sont récompensés par les magazines musicaux les plus influents du monde. Son dernier CD pour Glossa date de 2021 et s’intitule C. F. Abel : A Sentimental Journey. Il s’agit de sonates pour viole de gambe et basse de Carl Friedrich Abel, récemment découvertes.

Invité dans le monde entier, Paolo Pandolfo s’efforce constamment de jeter des ponts entre le passé et le présent, en apportant toujours dans ses interprétations, en plus d’une approche philologique rigoureuse, une vie spontanée et immédiate. Il est convaincu que le patrimoine de la musique ancienne, combiné à des compétences renouvelées en matière d’improvisation, peut être une source d’inspiration puissante pour l’avenir de la tradition musicale occidentale.

Guido Balestracci, viole de gambe

Né à Turin en 1971, Guido Balestracci entame, dès la fin de ses études à la Schola Cantorum de Bâle, une fidèle collaboration avec des personnalités musicales telles que Paolo Pandolfo ou Jordi Savall.

En 1997, il fonde l’ensemble L’Amoroso afin d’explorer de façon plus personnelle le répertoire pour viole de gambe, mettant en valeur les différents instruments de cette famille. Ses enregistrements Consonanze Stravaganti , Seconde Stravaganze et la transcription de l’opus V de Corelli pour viole de gambe, sont considérées comme des productions pionnières dans la restitution du répertoire italien pour viole et sont primés par la critique internationale.

Passionné par la recherche, Guido Balestracci s’intéresse aux instruments rares, tels que le baryton, ce dont témoigne un CD consacré aux Divertimenti en trio de Haydn, paru en 2011. C’est dans ce domaine que s’inscrit son intérêt pour les périodes classique et romantique et plus particulièrement pour l’arpeggione, dont il est l’un des rares interprètes actuels. Il se produit dès lors en concert, dans un programme consacré à la transcription du répertoire romantique autour de la sonate Arpeggione de Schubert, qu’il enregistre en 2019. Il a également été responsable du projet de recherche Le Vibrato entre 1770 et 1820 : un agrément à redécouvrir, au sein de la HEM de Genève.

Son dernier enregistrement, consacré aux sonates pour viole de gambe de deux frères Carl Philipp Emanuel et Johann Christian Bach, est sorti au printemps 2023.

Il occupe le poste de professeur de viole de gambe et d’ornementation du 18ème siècle à la HEM de Genève, au CRR de Paris avec le PSPBB et Sorbonne Université.

Friederike Heumann, viole de gambe

Friederike Heumann a étudié la viole de gambe à la Schola Cantorum Basiliensis avec Jordi Savall et Paolo Pandolfo. Salué d’un diplôme de soliste en musique ancienne, son parcours l’a ensuite conduite à Paris (au bénéfice d’une bourse d’études à la Cité Internationale des Arts de cette ville) où elle a vécu plusieurs années en tant que musicienne indépendante.

Invitée par des ensembles tels que Hesperion XXI et Le Concert des Nations (Jordi Savall), le Lucerne Festival Orchestra (Claudio Abbado), le Royal Concertgebouw Orchestra, le Montréal Symphony Orchestra (Kent Nagano), le Bayerische Staatsoper München, le Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, les Berliner Barocksolisten et bien d’autres, elle se produit dans toute l’Europe, au Canada, au Brésil, au Japon, aux États-Unis et en Israël. Avec son ensemble Stylus Phantasticus, elle est l’invitée de nombreux festivals internationaux.

Sous sa direction artistique sont parus divers enregistrements CD de solistes et de musique de chambre chez Alpha et Accent. Ils ont été accueillis avec enthousiasme par la critique internationale et ont reçu de nombreuses distinctions.

Friederike Heumann enseigne la viole de gambe et le consort à l’École supérieure de musique et de théâtre de Munich, ainsi que dans le cadre de nombreuses master classes internationales. En 2020, elle a été nommée professeur de musique de chambre historique pour cordes et de viole de gambe à la Hochschule für Musik Würzburg. Elle est également membre du jury de concours internationaux de musique ancienne.

Anna-Lena Elbert, soprano

La soprano munichoise a terminé ses études de chant à la HMT de Munich par un master en composition de lieder. Elle a bénéficié de l’enseignement de professeurs réputés tels que Fritz Schwinghammer, Rudi Spring et, en privé, de Tanja d’Althann.

Elle se produit en concert dans un vaste répertoire allant de la Renaissance à l’époque moderne, avec des ensembles comme l’Orchestre symphonique de Munich, l’Orchestre symphonique de Porto ou le Budapest Festival Orchestra.
Anna-Lena Elbert nourrit une passion particulière pour la musique de chambre et le lied, qu’elle exprime aussi bien par une programmation individuelle que par un échange intensif avec divers partenaires musicaux. Lauréate des concours de lied Richard Strauss et Helmut Deutsch, elle donne régulièrement des récitals, notamment à la Schubertíada en Espagne ou à la Beethovenhaus de Bonn.

En 2020, elle a fait ses débuts à l’Opéra d’État de Bavière dans le rôle principal d’un opéra pour enfants (première mondiale), et en 2022, au Festival de Salzbourg.

Thomas C. Boysen, luth

Originaire de Norvège où il a grandi dans une famille de musiciens, Thomas C. Boysen a terminé des études de luth à l’École supérieure de musique d’Oslo en 1995 et s’est ensuite perfectionné auprès du réputé professeur Rolf Lislevand à l’Institut de musique ancienne de Trossingen.

Depuis lors, il est considéré comme l’un des grands luthistes d’Europe et se produit en tant que soliste, chambriste et continuiste avec des musiciens et des ensembles influents de la scène de la musique ancienne, notamment Emma Kirkby, Rolf Lislevand, Paolo Pandolfo, Gottfried von der Goltz, Philippe Herreweghe, René Jacobs, Ivor Bolton, Masaki Suzuki, Emmanuelle Haïm, le Balthasar-Neumann-Ensemble, Le Concert d’Astrée, Le Poème Harmonique, Collegium Vocale Gent, Akademie für Alte Musik Berlin et le Freiburger Barockorchester.

Thomas C. Boysen se produit partout dans le monde et a participé à plus de 60 enregistrements de CD pour des labels comme Glossa, CPO, Aparté, Erato, Pan Classic, Naxos, Alpha, Raumklang, Naive, Harmonia Mundi et Sony.

Parallèlement à son activité de musicien, il enseigne le luth et la basse continue aux conservatoires supérieurs de musique de Munich et de Fribourg et donne de nombreux cours d’été, master classes et ateliers, notamment en Allemagne, Roumanie, Norvège, Mexique, Autriche, Suisse et États-Unis.

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