Éditorial 2025

Friedensreich Hundertwasser (1928-2000), l’auteur de nombreuses oeuvres d’art et d’architecture particulièrement marquantes par leur audace, avait tout d’un artiste qui aurait pu donner l’impression de s’inscrire dans une approche tabula rasa. Or, il n’en est rien ! En effet, à maintes occasions, il rappelait l’importance d’ancrer son action dans sa préexistence. Pour lui, la connaissance du passé est essentielle et permet à l’homme de se projeter dans l’avenir. Il prétendait fermement que celui qui détruit ses racines ne peut pas grandir, et qu’une telle personne est « désorientée » et « le jouet des puissances et de l’ère moderne des machines » (écrit en 1990, donc bien avant l’invention des smartphones…). Il s’agit alors d’admettre, comme le précise le rapport Clottu (1975), qu’aucune « culture véritable ne peut ignorer que ses racines plongent dans le patrimoine culturel de l’humanité ». Durkheim (1922) déclarait déjà à juste titre que l’on ne peut agir sur les réalités existantes que dans la mesure où l’on a appris à les connaître, où l’on sait quelles sont leur nature et les conditions dont elles dépendent ; et on ne peut arriver à le savoir que si on se met à leur école.

Ainsi, interpréter ou écouter de la musique ancienne, c’est s’inscrire dans une démarche d’ancrage dans l’histoire. Or, le problème de la musique ancienne est, comme l’écrivait Harnoncourt en 1985, que l’on ne sait pratiquement rien avec certitude au sujet de ses caractéristiques sonores. Il invitait quiconque s’intéresse à cette musique à toujours garder ce fait à l’esprit et à faire preuve d’une extrême prudence dans l’évaluation des déclarations de ceux qui prétendent être en possession de preuves irréfutables. Il faut dire qu’Harnoncourt s’inscrivait dans le courant né dans les années 1970 de la pratique historiquement informée. On prenait conscience que les partitions de musique ancienne n’étaient pas suffisantes pour donner vie à l’oeuvre. En effet, selon Vagnetti (2018), la source originale ancienne, dans son essence, n’offre pas toutes les pratiques d’exécution de l’époque. Même les transcriptions modernes, malgré la richesse de la notation et des indications qu’elles contiennent, ne permettent pas la révélation de tous les éléments non écrits de cette musique. Les interprètes, à l’instar de Bartold Kuijken, ont donc considéré que la notation « était principalement une sorte de carte routière, un aide-mémoire et une aide à l’invention, permettant au lecteur d’informations de créer une image intérieure de la musique. » Kuijken dira même que la musique ancienne n’existe pas en tant que telle et que son interprétation devient une re-création.

Le Concert des Anges (détail) – Gaudenzio Ferrari (vers 1534-1536)

Les interprètes commençaient alors à s’inspirer des instruments d’époque, des techniques de jeu associées et des règles esthétiques historiques. Si les premières tentatives sont méritoires étant donné les élans enthousiastes qu’ils suscitaient auprès d’une catégorie d’auditeurs avertis, force est d’admettre aujourd’hui que l’on sacrifiait souvent la beauté et la justesse musicale sur l’autel de cette nouvelle forme d’interprétation.

Or, la lutherie a depuis lors développé des instruments extraordinairement performants, permettant une interprétation fidèle à la pratique historiquement informée, tout en proposant une qualité de timbre et une justesse d’intonation quasi parfaite. C’est ainsi que des ensembles sont apparus qui ont marqué les auditeurs par une lecture innovante, mais enracinée et convaincante sur le plan sonore, des partitions anciennes. L’un d’eux est, sans conteste, le Gabrieli Consort & Players, fondé en 1982. A sa suite, une nouvelle génération d’interprètes formés dès le plus jeune âge à l’interprétation éclairée de la musique ancienne a émergé. Le programme de la nouvelle saison des Riches Heures de Valère permettra une fois encore au public de découvrir plusieurs de ces musiciens de haut vol qui ancrent leur interprétation dans une connaissance musicologique récente.

La proposition des Riches Heures de Valère est donc un véritable antidote à l’ignorance et à la désorientation. En effet, les artistes programmés incarnent à eux seuls l’illustration de ce qu’est un élan créatif et innovant qui puise sa connaissance et ses actions dans ses racines. Ce sont des musiciens qui sont de réelles références mondiales dans la pratique historiquement informée. Quel privilège nous avons en Valais de pouvoir ainsi, grâce à la connaissance et la perception de nos racines, nous projeter dans un avenir meilleur.

 

Sylvain Jaccard,
Directeur HEMU Valais-Wallis et Directeur artistique du Chœur Novantiqua de Sion

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