Dimanche
12 octobre – 17h
Basilique de Valère
Utopia Ensemble
Michaela Riener, mezzosoprano
Bart Uvyn, contreténor
Adriaan De Koster, ténor
Lieven Termont, baryton
Guillaume Olry, basse
Jan Van Outryve, luth
Salve Susato
Ensemble Utopia
Fondé en 2015, l’Ensemble Utopia réunit cinq chanteurs qui nourrissent une grande passion pour la polyphonie et se spécialisent dans la musique vocale du 16ème siècle et du début du 17ème siècle. Le principe d’égalité des cinq voix assure un son riche et homogène, toujours avec une expressivité très intense.
L’ensemble tire son nom du livre éponyme de Thomas More, écrit à Anvers en 1516. Inspiré par les idées intéressantes et novatrices de cet ouvrage, Utopia vise également à jouer un rôle social à travers ses projets et ses collaborations. Il s’agit notamment de la journée du festival Utopia, une initiative interdisciplinaire liée à des questions sociales. En tant que « ensemble en résidence » dans la magnifique église Saint-Paul d’Anvers, Utopia dispose d’un merveilleux point d’attache pour ses nouveaux projets et concerts. Entre-temps, une collaboration avec le Museum Vleeshuis a également débuté.
Ces dernières années, Utopia s’est produit dans de grands festivals et sur des scènes de concerts en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Pologne, en Espagne, en République tchèque, au Portugal et en Suisse.
Utopia a déjà publié plusieurs enregistrements discographiques, tous largement salués par la critique, dont l’un (paru en 2021 chez le label Ramée) présente la musique de l’injustement « oublié » Andreas Pevernage. Un autre album plus récent (Salve Susato / 2023, Ramée / Diapason d’Or) fait la part belle à l’éditeur et compositeur Tielman Susato.
Un uomo universale dans une métropole de la Renaissance
Tielman Susato était à l’orée de l’âge adulte lorsqu’il quitta son lieu de naissance présumé, Soest, près de Cologne, pour aller vers l’ouest. Vers 1529, moment où, pour la première fois, le nom de Susato peut avec certitude être relié à la ville d’Anvers, cette dernière était une porte ouverte sur le monde. Plaque tournante du commerce, héritière de Bruges, elle était un point d’ancrage pour les aventuriers, pour les esprits à contrecourant espérant trouver une ouverture cosmopolite dans le mélange des nationalités, pour les visionnaires et les révolutionnaires qui s’efforçaient en terrain plus ou moins vierge d’enraciner des idées nouvelles. Susato était un peu tout cela. Et Anvers son perfect match .
Délicieusement fou
Les troubles religieux qui affecteraient la ville plus tard n’étaient alors qu’un nuage à l’horizon. Au début du XVIe siècle, Anvers était un havre de paix, de prospérité et d’opulence. De liberté, aussi.
« Les étrangers y étaient considérés au même titre que les seigneurs de la ville. On pouvait prendre son amant par le bras et parler de ce que l’on voulait. En termes de libertés, Anvers ressemblait à un pays de fous », explique l’historien Guido Marnef (Antwerpen in de tijd van de Reformatie, 1996).
L’ouverture d’esprit et le cachet cosmopolite d’Anvers étaient inextricablement liés à son succès commercial. Au XVe siècle, la ville devint le point central de l’économie des Pays-Bas et son port connut sa première expansion vers le nord. Elle s’imposa comme centre de commerce grâce à ses foires annuelles, à partir desquelles des infrastructures plus permanentes se développeraient au fil du temps. Ce succès stimulait l’innovation et favorisait l’éclosion d’une pépinière de pionniers.
Industrie & niche
À l’intersection entre le commerce et l’économie de la connaissance, les métiers spécialisés prospéraient. C’est ainsi qu’Anvers abrita la première salle d’exposition d’art en Europe : le Pand, un forum fondé par l’église Notre-Dame (la future cathédrale) pour exposer et vendre des peintures, des sculptures, des gravures et des livres. Jusqu’à la veille de la Furie iconoclaste (1566), le Pand fut au centre d’un écosystème de fabricants qui, outre les artistes, comprenait des menuisiers, des tisserands, des marchands de parchemins, des encadreurs, des scribes et des copistes. Et des imprimeurs, car Anvers était un centre de production de livres.
L’impression musicale était une niche particulière. La première polyphonie imprimée dans les Pays-Bas bourguignons le fut probablement dans la ville sur l’Escaut par un certain Jost de Negker, qui commercialisa une gravure sur bois présentant les principes de base de la musique mensurale vers 1500-1508. Jan de Gheet imprima un volume d’hymnes à Charles Quint vers 1515, et entre 1523 et 1527,
Christoffel van Ruremund utilisa le procédé de la double impression pour la première fois dans les Pays-Bas méridionaux. Symon Cock reçut de Charles Quint le premier privilège d’impression musicale des Pays-Bas en 1539, après quoi il publia notamment Een devoot ende profitelijck boecxken et Souter Liedekens. En 1542, Jehan Buys et Henry Loys publièrent Des chansons à quattre parties, la première impression de musique polyphonique dans la région. La même année, Willem van Vissenaecken suscita une révolution avec le Quatuor vocum musicae modulationes en utilisant la technique de simple impression avec des caractères mobiles.
Impressum
En 1541, Tielman Susato s’associa avec Vanvisseraecken et son collègue anversois Hendrik ter Bruggen. Un an plus tard, il racheta les parts de ter Bruggen et en 1544, après un procès, il récupéra également celles de Vanvisseraecken. À la même époque, il obtint de la Ville un subside pour implanter une nouvelle branche commerciale ainsi qu’un privilège d’imprimeur, valable trois ans. En 1543, il fonda une imprimerie, située Twaalfmaandenstraat, près de la Bourse. Après l’expiration de son privilège, Susato se consacra à la musique sacrée et publia ses premiers recueils de messes et de motets. En 1547, il acheta un terrain près du Cloître des Frères mineurs et y construisit la maison Den Cromhorn qui abritait, outre ses presses, un entrepôt d’instruments de musique. Cet endroit se trouvait à quelques minutes de marche de l’église Saint-Paul, où l’Utopia Ensemble a enregistré le programme intitulé Salve Susato.
A son apogée, l’entreprise de Susato produisait jusqu’à huit livres de musique par an qui étaient généralement imprimés dans un format in-quarto oblong, soit en caractères musicaux utilisés uniquement par Susato jusqu’en 1551, soit en caractères plus petits que l’on retrouvait également chez d’autres imprimeurs (dans le format in-quarto, huit pages sont imprimées sur une feuille, qui est pliée deux fois en deux ; on obtient ainsi un cahier de quatre feuilles et huit pages). Au cours de sa carrière, il publiera 22 livres de chansons, 4 de messes et 19 de motets – essentiellement des compilations d’oeuvres de polyphonistes franco-flamands, mais également 11 des volumes du Musyck Boexken (Petit Livre de de musique, 1551-1561), à savoir un volume de danses, deux de chansons néerlandaises et huit de Souterliedekens (psaumes).
Avec ces éditions, Susato s’inscrit dans les annales de multiples catégories d’excellence. Ainsi, le premier des Musyck Boexken est également la plus ancienne édition entièrement conservée de chansons polyphoniques en néerlandais. Ses collections comptent de nombreuses oeuvres qui jamais ne furent publiées auparavant. La qualité des tirages est également exceptionnelle. Susato occupa ainsi le marché des professionnels de la musique et des amateurs exigeants, qui appréciaient une finition soignée et acceptaient d’y mettre le prix.
Fin ouverte
Vers 1558, Jacob, l’un des enfants de Susato, entra dans l’entreprise ; il la reprit en 1561, mais ne commercialisa qu’une seule publication. Après sa mort prématurée en 1564, le matériel d’impression fut vendu à l’entreprise de Christophe Plantin. Entre-temps, Tielman Susato avait raccroché de son métier d’imprimeur. Dans ses dernières publications, il faisait déjà allusion à Alkmaar, ville du nord des Pays-Bas, une région où il finit par s’installer, probablement pour des raisons liées à ses convictions calvinistes, mieux tolérées dans les provinces du Nord. En 1561, il fut nommé balliau (bailli) et schout (bourgmestre) de Petten, puis élu au heemraad (conseil de la gestion des chemins d’eau) en 1563. Puis la vie de Susato prit une tournure inattendue : il participa aux missions diplomatiques de son gendre, Arnold Rosenberger, à partir de 1565. Il dut se rendre à la cour de Suède pour y porter des lettres en 1566, mais fut contraint de jeter les documents à la mer lorsque son navire entra dans les eaux danoises. Il dut à deux reprises se présenter devant la Haute Cour, mais fut finalement acquitté. Susato resta à Stockholm jusqu’en 1570 et y travailla notamment comme scribe. Sa trace est ensuite perdue : le lieu et la date de sa mort restent inconnus.
Factotum
Comment un immigré eut-il un jour l’idée de fonder une entreprise loin de chez lui, dans un secteur commercial émergeant ? Pour répondre à cette question, il faut remonter à l’Anvers de la Renaissance. Au XVe siècle, une vie musicale de haut niveau s’y épanouissait grâce à l’école chorale de l’église Notre-Dame (y défilèrent par exemple de grands noms tels Johannes Ockeghem, Jacob Obrecht, Andries Pevernage, Benedictus de Opitiis et John Bull). La pratique musicale profane s’y développa également, la guilde des musiciens y assumant dès 1550 un rôle important et la ville devint un pôle d’attraction pour les professionnels de la musique en Europe occidentale.
Bien avant de devenir imprimeur, Susato était déjà incontournable dans la vie musicale anversoise. En 1529, il commença sa carrière comme scribe au service de la Confrérie de Notre-Dame. Cette expérience lui offrit un avantage unique en tant qu’imprimeur : il put constater à quel point la précision de la mise en page, du positionnement des textes et de l’édition pouvait renforcer l’impact d’une partition. Mais Susato fit également partie des musiciens de la ville ; il reçut probablement une solide formation musicale dès son plus jeune âge pour être admis dans ce groupe d’élite. Il jouait de la saqueboute, de la trompette, du cromorne, de la flûte traversière et de la flûte à bec et semble avoir participé aux offices du soir de la Confrérie.
Susato était également compositeur. On connaît plus de 90 chansons de sa main, dont de nombreuses oeuvres pour grand ensemble ainsi que de petits bijoux à deux ou trois voix. Dans ce genre, il compte parmi les compositeurs les plus importants des Pays-Bas. Ses chansons sont aussi soigneusement organisées que ses caractères d’imprimerie : nombre d’entre elles apparaissent dans des ensembles d’oeuvres liées à la fois sur le plan textuel et musical, parfois appelées «responses» et «replicques».
Alors que ses messes et motets excellent dans l’ingénieux tissage de motifs répétés à toutes les voix (imitation), les danses sont souvent arrangées dans un style qui indique qu’elles étaient peut-être destinées au marché des amateurs.
Portrait sonore
Aujourd’hui, ce sont surtout ces « belles danses » qui, avec son travail d’imprimerie, se taillent la part du lion dans l’intérêt que suscite l’homme de Soest. Mais le reste de son héritage mérite également d’être salué. C’est pourquoi l’Ensemble Utopia se concentre sur sa musique vocale, avec une sélection d’oeuvres dans laquelle tous les genres rois de la polyphonie de la Renaissance – à l’exception du madrigal – sont représentés. Quelques danses apparaissent çà et là dans des arrangements pour luth seul. De nombreuses oeuvres de premier plan de la main de maîtres de la polyphonie, toutes éditées par Susato, font également partie du programme, toutes d’une grande qualité : de vrais « tubes » côtoient des oeuvres peu connues mais tout aussi grandioses. La pièce maîtresse de ce programme est peut-être la Missa In illo tempore (Liber primus missarum, vers 1545), une messe parodique enregistrée en première mondiale par Utopia. La chanson Les miens aussi, réponse de Susato à l’illustre Mille regretz de Josquin des Prez, est également remarquable. Le motet Salve quae roseo serto est une vibrante ode de Susato à Anvers, la ville qui lui apporta bonheur et succès en affaires.
Aux côtés de Josquin, Crecquillon, Gombert, Lecocq et Clemens non Papa, on note surtout la présence de Lassus, prince de la Renaissance, qui joua un rôle important dans la vie de Susato. Il lui consacra notamment l’impression de recueils complets, tels son opus 1, un recueil de musique profane et sacrée, publié comme addendum à la série des chansons (Le quatoirsiesme livre des chansons).
Profil versus silhouette
L’expérience professionnelle de Susato nous apprend-elle quelque chose du personnage privé ? Sa trajectoire témoigne en tout cas d’un caractère flexible mais constant. Jeune entrepreneur, il ne se laissa pas décourager par des partenariats infructueux, mais s’efforça plutôt de développer des techniques d’impression innovantes et une gestion dynamique, grâce auxquelles son entreprise devint la première imprimerie musicale à succès des Pays-Bas.
Tielman Susato, homme aux talents multiples, fonceur et performant, doté d’une bonne dose d’esprit, de perspicacité stratégique, de confiance en soi et d’ambition aurait pu aller partout où il y avait des opportunités et des succès à saisir… S’il atterrit à Anvers, c’est grâce à la providence qui apporta la fortune à l’homme comme à la ville, telle une chaude couleur rouge dans le coucher de soleil d’un âge d’or.
Sofie Taes
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